1.1. Présentation générale de l’organisation judiciaire et place de l’ordre juridictionnel administratif
Le Conseil d’Etat est la juridiction administrative suprême. Il se situe hors de l’ordre judiciaire. Il n'existe pas en Belgique de juridictions administratives à compétence générale de premier ou de second degré. Lorsque de telles juridictions sont créées dans des domaines spécifiques à l'initiative des entités fédérées ou de l'Etat fédéral (ex.: le Conseil du contentieux des étrangers), le Conseil d’Etat statue comme juge de cassation administrative.
Dans certaines matières spécifiques, la section du contentieux administratif exerce une compétence de pleine juridiction, y compris sur les décisions prises par les instances ou juridictions de degré inférieur (ex : contentieux électoral).
1.2. Dates importantes de l’évolution de la juridiction administrative et du contrôle des actes de l’administration
Depuis 1831, la Constitution belge interdit aux juridictions d’appliquer les actes administratifs illégaux. Ce pouvoir, érigé en obligation par la Cour de cassation, est appelé l'"exception d'illégalité" et est garanti par l'article 159 de la Constitution, en vertu duquel "les cours et tribunaux n'appliqueront les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux qu'autant qu'ils seront conformes aux lois".
En 1946, le législateur a institué le Conseil d’Etat de Belgique, compétent pour censurer, au contentieux de l'annulation, les actes administratifs entachés d'excès de pouvoir, c'est-à-dire illégaux. Il s'agit d'un contrôle a posteriori exercé par la section du contentieux administratif du Conseil d’Etat. Le Conseil d’Etat est également compétent pour rendre des avis non contraignants sur les avant-projets de normes législatives et d'arrêtés réglementaires issus des différents gouvernements de l'Etat fédéral (gouvernements fédéral, régionaux et communautaires). Ce contrôle a priori est exercé par la section de législation du Conseil d’Etat.
En 1991, le Conseil d’Etat a vu ses compétences renforcées par la possibilité pour les justiciables de solliciter, en référé et au provisoire, la suspension de l'exécution des actes administratifs, d'abord en cas de risque de préjudice grave difficilement réparable puis, depuis 2014, en cas d'urgence.
Lors de la modification constitutionnelle du 18 juin 1993, l'existence du Conseil d'Etat a été consacrée dans la Constitution (actuel article 160 de la Constitution).
La dernière révision constitutionnelle de 2014 a tempéré le monopole des juridictions judiciaires dans les contentieux mettant en cause des droits civils, la Constitution stipulant désormais que le Conseil d’Etat est compétent pour statuer sur les effets civils de ses décisions (Const., art. 144, alinéa 2). Il peut dorénavant allouer une "indemnité réparatrice" au justiciable qui a subi un préjudice du fait de l'illégalité de l'acte, du règlement ou de la décision implicite de rejet, en tenant compte des intérêts publics et privés en présence (lois coordonnées sur le Conseil d’Etat, ci-après, LC, art. 11bis).
Une autre réforme a été instaurée par la loi du 20 janvier 2014 : depuis lors, le Conseil d’Etat peut également indiquer les mesures à prendre pour remédier à l’illégalité sanctionnée par ses arrêts d’annulation et, si l’annulation implique que l’autorité prenne une nouvelle décision, il peut prescrire un délai pour ce faire (LC, art. 35/1 et 36, § 1er).
1.3. Critères de compétence de la juridiction administrative
Le Conseil d’Etat est compétent pour prononcer, par voie d’arrêts, l’annulation (ou la suspension de l’exécution) des décisions des autorités administratives et certaines décisions des autorités judiciaires ou législatives. Il n’intervient donc pas dans le contentieux des droits civils ou politiques subjectifs – sauf, en ce qui concerne les droits politiques, exception établie par la loi -, sous la seule réserve de l’octroi d’une indemnité réparatrice qui fait suite à un arrêt d’annulation ou un arrêt constatant une illégalité dans une décision desdites autorités.
2.1. Fondements textuels
Textes principaux :
Les articles 144, alinéa 2, et 160 de la Constitution belge
Les lois sur le Conseil d’Etat, coordonnées le 12 janvier 1973
Pour un aperçu de la réglementation en vigueur :
http://www.raadvanstate.be/?page=about_law&lang=fr
2.2. Organisation et compétence de la juridiction administrative
2.2.1.Organisation générale de l’ordre juridictionnel administratif
La justice administrative est-elle rendue par des juridictions spécialisées ou par des chambres spécialisées au sein de juridictions disposant d’une compétence générale ? La juridiction administrative comprend-t-elle plusieurs niveaux de juridiction (premier ressort, appel, cassation) ? Existe-t-il des juridictions administratives spécialisées ?
On ne connaît pas, en droit belge, de tribunaux administratifs ou de cours administratives d'appel. Toutefois, un grand nombre de juridictions administratives à compétences spéciales ont été créées au fil du temps par les législateurs fédéraux et, plus récemment, par les législateurs régionaux, en application des articles 145, 146 et 161 de la Constitution et, en ce qui concerne les législateurs régionaux, l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.
Mais, dans certains cas, ils ont, par application du dédoublement fonctionnel, confié des compétences juridictionnelles à des autorités administratives préexistantes.
C'est ainsi qu’en Région wallonne, le contentieux de la validité des élections communales est tranché en premier ressort par le gouverneur de la province concernée. En Région flamande, le Conseil de règlement des différends en matière de décisions sur la progression des études a été institué en 2004 dans la matière communautaire de l'enseignement, et, en matière d'urbanisme et d'environnement, le Collège de maintien environnemental et le Conseil pour les contestations des autorisations ont été créés respectivement en 2007 et 2009.
Les décisions prononcées en dernier ressort par ces juridictions relèvent, en cassation, de la compétence du Conseil d’Etat (LC, art. 14, § 2).
Le Conseil d’Etat assure ainsi le rôle de juridiction administrative suprême, hors de l’ordre judiciaire. Il est composé du Conseil d'Etat au sens strict et de l’Auditorat chargé de l’instruction des affaires.
2.2.2. Organisation interne des juridictions administratives et des formations de jugement
Les juridictions administratives sont-elles organisées en chambres ou en pôles ? Ces chambres ou pôles sont-ils spécialisés ? Existe-t-il plusieurs degrés de formation de jugement (juge unique, formation collégiale à trois, cinq… juges, formation plénière solennelle) ?
La section du contentieux administratif du Conseil d’Etat est divisée en 5 chambres francophones et 5 chambres néerlandophones. Les chambres se composent de 3 membres. Il existe également une chambre bilingue (français-néerlandais) et une chambre mixte (français ou néerlandais et allemand) chargée du contentieux germanophone. Un auditeur est chargé au préalable de l’examen de l’affaire, dépose un rapport écrit soumis à la contradiction des parties et donne un avis sur la solution du litige avant la clôture des débats.
Les différentes chambres ont certes une certaine spécialisation dans différents contentieux.
La répartition des matières entre les chambres est faite, chaque année, par le Premier Président au moyen d'une ordonnance.
Cette répartition est consultable sur le site internet du Conseil d'Etat :
http://www.raadvst-consetat.be/?lang=fr&page=about_organisation_council_page12
Outre l’auditeur, les juges siègent généralement à trois. En vertu des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat, outre un auditeur, un seul juge statue :
1° sur les demandes de suspension et de mesures provisoires;
2° en matière de recours en annulation ou de recours en cassation pour lesquels une partie n’a pas respecté certains délais de procédure (ce qui donne parfois lieu à une procédure abrégée), lorsque le recours doit être déclaré sans objet, appelle un désistement, doit être rayé du rôle, ou lorsqu'il s'agit du traitement de requêtes qui n'entraînent que des débats succincts ;
3° sur l’admissibilité des recours en cassation.
http://www.raadvst-consetat.be/?page=about_law&lang=fr
Il existe plusieurs types de renvoi d'une affaire devant une composition plus large, notamment :
2.2.3. Les juridictions administratives détiennent-elles une compétence consultative (conseil à l’administration, au Gouvernement, au Parlement…) ?
Non, mais le Conseil d’Etat contient aussi une section consultative « section de législation », distincte de la section du contentieux qui est la juridiction administrative.
2.2.4. Outils et ressources documentaires mis à disposition des juges
Le Conseil d'Etat dispose de sa propre bibliothèque, très complète.
Les membres du Conseil d'Etat disposent également, via un abonnement collectif, d'un accès internet à des banques de données (législation, jurisprudence, doctrine) gérées par des maisons d'édition privées (StradaLex, Jura, etc.).
Le Conseil d'Etat dispose également d'un bureau de coordination (composé de 4 magistrats) chargé, essentiellement, de tenir la législation à jour, de codifier/coordonner certains textes et de mettre sa documentation à disposition des membres des deux sections (voire du public – refLex). Au quotidien, les tâches exercées par le bureau de coordination concernent davantage la section de législation. (LC, art. 77).
L'auditorat du Conseil d'Etat est également chargé "de tenir à jour, de conserver et de mettre à disposition, sous la forme de fichiers automatisés, la documentation relative à la jurisprudence et aux avis du Conseil d’État" (LC, art. 76, § 2).
2.3. Statut des juges administratifs
Quelles sont les modalités de recrutement des juges (concours, désignation politique, élection par des pairs…) ? Quelles garanties statutaires leur sont offertes dans l’exercice de leurs fonctions, en particulier en termes d’indépendance ?
La composition du Conseil d’Etat est réglée par la loi, en vertu de l'article 160 de la Constitution.
Les conseillers d’Etat sont nommés à vie. Ils sont soumis à une évaluation périodique qui a lieu tous les trois ans. Cette évaluation est faite sur la base de critères portant sur la personnalité et les capacités organisationnelles et professionnelles du titulaire de fonction, en ce compris la qualité des prestations fournies et le maintien à niveau des connaissances dans les matières traitées, et ce sans porter atteinte à son indépendance ni à son impartialité (LC, art. 74/7, § 1er).
Les candidats à une fonction conseiller d'État doivent satisfaire à certaines conditions de nomination : être âgé de 37 ans au moins, être docteur/licencié/master en droit, avoir une expérience utile de nature juridique de 10 ans au moins et satisfaire à l'une des conditions de nature professionnelle suivantes (LC, art. 70, § 2, alinéa 1er) :
1° avoir réussi le concours d'auditeur adjoint et de référendaire adjoint au Conseil d’État, le concours de référendaire à la Cour constitutionnelle, le concours de référendaire à la Cour de Cassation, le concours d'auditeur adjoint à la Cour des comptes ou l'examen d'aptitude professionnelle prévu par l'article 259bis du Code judiciaire;
2° exercer une fonction administrative classe A4 au moins ou équivalent dans une administration publique belge soit dans un organisme public belge;
3° avoir présenté avec succès une thèse de doctorat en droit ou être agrégé de l'enseignement supérieur en droit;
4° exercer, en Belgique, des fonctions de magistrat du ministère public ou de juge effectif ou être membre du Conseil du Contentieux des Etrangers visé à l'article 39/1 de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers;
5° être titulaire d'une charge d'enseignement du droit dans une université belge ;
6° avoir pendant vingt ans au moins exercé la profession d'avocat à titre d'activité professionnelle principale ou avoir exercé pendant vingt ans au moins une fonction dont l'exercice nécessite une bonne connaissance du droit, dont quinze ans au moins en qualité d'avocat.
Les membres du Conseil d'État sont pour moitié francophones et pour moitié néerlandophones (LC, art. 73, § 1er, alinéa 3). De même, une parité linguistique est assurée entre le premier président et le président (LC, art. 73, § 1er, alinéa 1er). Six membres du Conseil d'État au moins doivent justifier de la connaissance de la langue autre que celle de leur diplôme et au moins un membre du Conseil d'État doit justifier de la connaissance suffisante de la langue allemande (LC, art. 73, § 2, alinéa 2, et § 3).
Les conseillers d'État ont la possibilité de devenir présidents de chambre (mandat adjoint), voire président ou premier président (mandats de chef de corps).
Les conseillers d'État sont nommés par le Roi, sur présentation du Conseil d'État et du Parlement.
Les présidents de chambre sont désignés par l'assemblée générale du Conseil d'État parmi ses membres (LC, art. 74/4, § 1er, 1°). La désignation au mandat adjoint de président de chambre est valable pour une période de trois ans, renouvelée de plein droit sauf en cas d'évaluation insuffisante. Après neuf ans d'exercice de la fonction, le président de chambre concerné est, sauf en cas d'évaluation insuffisante, désigné de plein droit à titre définitif dans ce mandat.
Le premier président et le président sont désignés par le Roi, sur présentation de l'assemblée générale du Conseil d'État, pour un mandat de 5 ans renouvelable (LC, art. 74/3).
Les auditeurs, qui ne sont pas des « juges », sont des magistrats, nommés par le Roi, après la réussite d’un concours organisés par le Conseil d'État. Ils commencent leur carrière dans le rang d’auditeur adjoint. Après deux ans, ils peuvent être nommés auditeur et après onze, premier auditeur. Pour la désignation des chefs de section de l’Auditorat, voir LC, art.74/4 et s.
L’auditeur général et l’auditeur général adjoint, chefs de corps de l’Auditorat, sont désignés par le Roi, sur présentation de l’assemblée de corps de l’Auditorat, pour un mandat de cinq ans, renouvelable une fois (LC, art. 74/3).
3.1. Types de recours ouverts
Quelle est la nature des demandes que les requérants peuvent former devant la juridiction administrative ? Les actions ayant pour objectif l’annulation d’actes administratifs sont-elles les seules actions ouvertes ? La juridiction administrative peut-elle statuer sur des recours indemnitaires ?
La section du contentieux administratif du Conseil d’Etat statue, en tant que juridiction administrative suprême, par voie d’arrêt sur les recours en annulation et les demandes de suspension introduits contre tous actes administratifs, et peut octroyer une indemnité réparatrice à la suite d’arrêts d’annulation ou d’arrêts constatant une illégalité.
Elle statue également en cassation des décisions rendues par les juridictions administratives quand elles sont instituées.
Dans certaines matières spécifiques, la section du contentieux administratif exerce une compétence de pleine juridiction (ex : contentieux électoral).
3.2. Procédures d’urgence
Des procédures d’urgence existent-elles devant la juridiction administrative ? Si oui, sont-elles générales ou concernent-elles seulement des domaines particuliers de l’action administrative (libertés individuelles, marchés publics…) ?
Depuis la mise en vigueur d'une loi du 19 juillet 1991, qui a modifié à cette fin les articles 17 et 18 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat, celui-ci peut se prononcer en référé dans toutes les branches du droit administratif.
La règle est que lorsqu'un acte ou un règlement administratif est susceptible d'être annulé, le Conseil d’Etat est seul compétent pour ordonner la suspension de son exécution, pour autant que l’urgence soit établie par le requérant.
Lorsqu'il est saisi d'une telle demande, le Conseil d’Etat peut seul, au provisoire et dans les conditions prévues à l'article 17, § 2, alinéa 1er, soit s'il y a moyen sérieux et urgence, ordonner toutes les mesures nécessaires afin de sauvegarder les intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution de l'affaire, à l'exclusion des mesures ayant pour objet des droits civils.
Dans les cas où les délais du référé administratif ordinaire ne sont pas de nature à offrir au requérant une protection adéquate de ses droits, une procédure de suspension "d’extrême urgence" est organisée devant le Conseil d’Etat.
Equivalent du référé d’hôtel devant les juridictions judiciaires, cette procédure en suspension d’extrême urgence permet une fixation très rapide de l’audience et l’obtention d’un arrêt dans des délais très brefs (quelques jours).
En matière de marchés publics, la procédure de suspension d'extrême urgence est la voie de recours principale (loi du 17 juin 2013 relative à la motivation, à l'information et aux voies de recours en matière de marchés publics, de certains marchés de travaux, de fournitures et de services et de concessions, art. 15 et 47).
3.3. Principes régissant la procédure suivie devant le juge administratif
Quelles règles régissent le déroulement de la procédure contentieuse devant le juge administratif ? De quelles garanties bénéficient les parties ? Comment s’organisent les relations entre le juge et les parties ?
Pour un aperçu de la réglementation en vigueur :
http://www.raadvanstate.be/?page=proc_admin_law&lang=fr
Il n'existe aucun formalisme imposé pour le contenu de la requête. Les seules exigences procédurales qui sont imposées concernent les coordonnées du requérant, l'identification de l'acte attaqué, un exposé des faits et la formulation de "moyens" qui indiquent la règle violée et la mesure de cette violation et parfois l’intitulé de la requête.
En cas de demande de suspension, un exposé de l'urgence doit également figurer dans la requête.
Devant le Conseil d’Etat, la procédure est écrite. Chaque partie se voit octroyer la possibilité de répondre par écrit aux arguments de l’autre partie (l'autorité dont l'acte est attaqué dépose un mémoire en réponse, auquel le requérant répond par un mémoire en réplique), y compris après le dépôt du rapport de l’auditeur (par un dernier mémoire). Cette procédure est atténuée en cas de référé ou de référé d’extrême urgence, compte tenu de la célérité inhérente à ce type de procédures.
Les principes qui régissent la récusation des juges et conseillers de l'ordre judiciaire et le déni de justice, sont applicables aux membres de la section du contentieux administratif du Conseil d’Etat et de l'auditorat (LC, art. 29), à l'instar des garanties prévues par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Le requérant a l'obligation de formuler ses moyens dans sa requête, sous peine d'irrecevabilité de ceux-ci sauf s'ils sont d'ordre public ou s’il n’a pu les formuler qu’en prenant connaissance de pièces déposées à l’appui du dossier administratif qui lui étaient jusqu’alors inconnues.
Tout tiers intéressé ayant un intérêt à la solution de l’affaire peut intervenir au cours de la procédure en suspension et en annulation, étant toutefois précisé que l’intervenant ne peut soulever d’autres moyens que ceux invoqués dans la requête introductive d’instance.
3.4. Normes de référence pour le contrôle exercé par le juge administratif
Par rapport à quelle norme (règlements, lois, conventions internationales, constitution…) le juge administratif contrôle-t-il les actes qui lui sont soumis ? Est-il compétent pour contrôler la conformité des lois et des règlements à la Constitution ? Est-il compétent pour contrôler la conformité des lois et des règlements aux traités internationaux ?
Le Conseil d’Etat exerce son contrôle de légalité uniquement à l’égard des règlements et décisions administratifs, pas des actes législatifs, sous la réserve du contrôle indirect de la conformité au droit international avec effet direct des lois sur lesquelles l’acte administratif attaqué est basé. Si dans ce cadre il a un doute quant à la constitutionnalité d’une norme législative, il est obligé, en principe, de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle et de se conformer à l’arrêt que prononcera celle-ci. Sous cette réserve, il exerce un contrôle des actes administratifs au regard de l’ensemble des normes qui leur sont supérieures: règlements généraux, lois, décrets, ordonnances, lois spéciales, Constitution et droit international avec effets directs.
3.5. Champ et nature du contrôle du juge administratif
Le juge administratif est-il compétent pour contrôler l’ensemble des actes pris par l’administration ? Certains actes sont-ils soustraits à son contrôle ?
Quel est le degré de contrôle exercé par le juge administratif sur les actes qui lui sont soumis ? Ce degré de contrôle varie-t-il en fonction de la nature de l’acte attaqué et de la marge d’appréciation dont dispose l’administration ?
Tous les actes de l’administration sont soumis à son contrôle, après épuisement des voies de recours organisées au sein de l’administration.
Il n’exerce toutefois qu’un contrôle de légalité et non d’opportunité et, dans l’hypothèse d’une décision mettant en oeuvre le pouvoir d’appréciation discrétionnaire de l’autorité administrative, dans le cadre d’un contrôle dit « marginal » du juge administratif, seule une erreur manifeste d’appréciation peut être censurée, afin d’assurer le respect de la séparation des pouvoirs.
3.6. Opinions dissidentes des juges
Les juges ayant participé au jugement mais qui sont en désaccord avec le sens de la décision rendue peuvent-ils publiquement faire part de leur opinion dissidente ? Si oui, est-ce le cas pour toutes les affaires ?
Non, tous les arrêts sont prononcés au nom du Conseil d’Etat et il n’existe pas de mécanisme d’opinions dissidentes ou concordantes. Par contre, les parties connaissent l’opinion de l’auditeur comme conclusion de son rapport et de son avis.
3.7. Modes alternatifs de règlement des litiges
Existe-t-il des modes alternatifs de règlement des litiges ? Si oui, lesquels ?
Les différents médiateurs instaurés par la loi, le décret ou l’ordonnance, peuvent être saisis avant le Conseil d’Etat auquel cas le délai d’introduction du recours en annulation est suspendu pour une période de 4 mois maximum (LC, art. 19, alinéa 3). Il ne s'agit toutefois en aucun cas d'un recours préalable obligatoire, c’est une simlpe faculté offerte aux parties depuis 2014.
3.8. Procédures dématérialisées
Existe-t-il une procédure spécifique pour saisir le juge administratif par voie dématérialisée ?
Oui.
La procédure électronique contentieuse est régie par l'article 85bis de l'arrêté du Régent du 23 août 1948 ʿdéterminant la procédure devant la section du contentieux administratif du Conseil d'Étatʾ, lequel fut inséré dans le règlement général de procédure par l'arrêté royal du 13 janvier 2014.
Depuis le 1er février 2014, les pièces de procédure peuvent être envoyées et échangées sur un site internet sécurisé (e-ProAdmin) sur lequel il est possible de s'enregistrer au moyen de sa carte d’identité. Les requêtes et les autres pièces de procédure (et leurs annexes) peuvent être déposées sous forme électronique. Un courrier électronique adressé aux parties les informe du dépôt de nouvelles pièces de procédure qu’elles peuvent consulter dans le dossier électronique. La procédure électronique est une possibilité : les parties qui le souhaitent peuvent, comme auparavant, recevoir les pièces sur support papier.
Au sujet de cette réglementation, voir : http://www.raadvanstate.be/?page=e-procedure&lang=fr
4.1. Pouvoirs du juge
Le juge peut-il substituer ses propres analyses et décisions à celles de l’administration ou a-t-il seulement un choix binaire : annuler l’acte ou rejeter le recours ? Peut-il contraindre l’administration à agir dans un sens déterminé (pouvoir d’injonction, astreintes) ?
Le Conseil d’Etat peut annuler l’acte administratif ou rejeter le recours.
Outre cette compétence d'annulation, le Conseil d’Etat se voit reconnaître également d’autres compétences, dont, entre autres, celle dite de « pleine juridiction » (LC, art. 16). Dans ces matières, l’arrêt du Conseil d’Etat peut réformer la décision prise en première instance et, dans ce cas, l’arrêt se substitue à cette décision.
Depuis la dernière réforme de 2014, le Conseil d’Etat peut, à la demande d’une partie, indiquer dans les motifs de son arrêt d’annulation les mesures à prendre pour remédier à l’illégalité ayant conduit à celle-ci, ou ordonner qu’une décision intervienne dans un certain délai si l’arrêt d’annulation implique que l’autorité prenne une nouvelle décision (LC, art. 35/1 et 36, § 1er).
Le Conseil d’Etat dispose également de la possibilité d'imposer une astreinte (LC, art. 17, § 8, et 36, §§ 2 à 5) et de maintenir les effets d’un acte annulé (LC, art. 14ter).
À ce sujet, voir également l'arrêté royal du 2 avril 1991 déterminant la procédure devant la section du contentieux administratif du Conseil d’Etat en matière d'injonction et d'astreinte.
Dans certaines hypothèses, le Conseil d'État peut procéder à une balance des intérêts en présence.
4.2. Portée des décisions du juge administratif et autorité de la chose jugée
À qui les décisions rendues par le juge administratif s’imposent-elles ? A tous sans distinction (autorité absolue de la chose jugée) ou seulement aux parties au litige (autorité relative de la chose jugée) ? Quel est le critère permettant de décider entre ces deux options le cas échéant ?
Les arrêts d’annulation ont effet erga omnes, c’est-à-dire à l’égard des parties et des tiers, tandis que les arrêts de rejet n’ont autorité qu’entre parties.
4.3. Voies de recours
Les décisions rendues par le juge administratif peuvent elles être contestées ? Pendant combien de temps ? Devant quelles autorités / juridictions ?
Les arrêts prononcés par le Conseil d’Etat ne peuvent faire l'objet d'un recours devant la Cour de cassation que dans la seule mesure où ils se prononcent sur sa propre compétence par rapport à celles des juridictions judiciaires (conflit d'attributions). Le délai pour introduire un pourvoi en cassation est de trois mois.
C'est la Cour de cassation qui tranche les conflits d'attributions (article 158 de la Constitution).
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