Established on October 9, 1948, Belgium's Council of State celebrated its 75th anniversary during a ceremony held at the Royal Museums of Fine Arts of Belgium on October 16, 2023.
The event brought together members of the Council of State, the Minister of the Interior of Belgium, magistrates from the Court of Cassation and Constitutional Court of Belgium, representatives of the bar and academia, and representatives of the Council of State of France, the Council of State of the Netherlands and the Council of State of Luxembourg. The International Association of Supreme Administrative Jurisdictions was represented by its Secretary General, Martine de Boisdeffre.
Here is an extract of the First President Wilfried Van Vaerenbergh's speech:
"Although the Council of State exists since 75 years and its role in our society is essential, it still remains for many a misunderstood judge.
The Council of State only speaks through its rulings and opinions, and never seeks to be noticed. We're not on one side of society or the other, we're on the side of the law, and rule in accordance with the law.
Today, we're making an exception. Because we are proud of our Institution. Proud of what we accomplish every day. Proud of the role we play in the rule of law: preventive through our opinions, curative through our rulings.
The Council of State started as a small institution in 1948. Today, nothing is what it once was. But our mission to protect the rule of law remains the same. And we are still working on it every day. The work of the pioneers then and all our predecessors continues today."
Philippe Bouvier, Honorary Auditor General, presented the history of the Council of State in his speech at the anniversary ceremony:
"Le jour où le Conseil d’Etat s’installa
C'est samedi dernier, 9 octobre, que le Conseil d'Etat a été solennellement installé. On connaît la majesté austère et un peu désuète de la grande salle du Palais des Académies, où la cérémonie avait lieu. Des fresques, aux murs, rappellent les fastes de nos sciences et de nos lettres, la gloire des premiers Belges, celle de Charlemagne et des archiducs. Le sévère apparat de cette décoration, des loges, des petites tribunes haut perchées nous fait sourire, aujourd'hui que nos esprits s'éveillent à Bénélux ou aux appels du Palais de Chaillot, car il est le témoin fidèle et émouvant de l'orgueil ombrageux de notre jeune monarchie, éprise de mauvaise peinture, mais jalouse de ses institutions indépendantes.
Ainsi s’exprimait Basile-Jean Risopoulos dans le Journal des Tribunaux du 17 octobre 1948. Et si les lieux étaient à la mesure de la splendeur d’antan, le parterre des personnalités qui les peuplaient le leur rendait fort bien. La presse quotidienne s’en fit aussi l’écho, donnant ainsi à l’événement un éclat retentissant. Septante-cinq années plus tard, elle peut encore en témoigner.
Parue dès le lendemain de la cérémonie officielle de l’installation du Conseil d’Etat, La Dernière heure croit même utile de rappeler que la loi portant création du Conseil d’Etat date déjà du 23 décembre 1946. Près de deux années ont donc été nécessaires, poursuit le quotidien, pour procéder à cette installation : l’une pour désigner les conseillers et les auditeurs, l’autre pour établir les arrêtés d’exécution.
Quant au journal Le Matin du 11 octobre, il annonce la couleur : « A l’entrée du palais, un dais de velours grenat avait été dressé, comme pour un mariage. Le large corridor et les escaliers étaient tapissés de rouge et de rose. Les invités, triés sur le volet, étaient accueillis par des huissiers à chaîne (…) ». Et le journaliste de poursuivre en ces termes : « La séance fut relativement brève et les discours relativement longs. Mais, d’un bout à l’autre, la cérémonie fut ce qu’elle devait être : magnifique et mesurée ».
Dans le courant de l’après-midi du 9 octobre, à 15 heures 10’ très exactement, les héros du jour prennent place sur l’estrade à eux destinée, rapporte Le Soir du lendemain. Leur entrée se veut majestueuse, un tant soit peu théâtrale sans doute. C’est que les « pères fondateurs du Conseil d’Etat » sont, d’après la description qu’en fait La Libre Belgique le 10 octobre, « revêtus de la toge bordeaux et portent l’épitoge d’hermine et la toque noire à fort galon d’or ». Le journal La Métropole du 11 octobre nous dit qu’ils avaient « belle allure » : on veut bien le croire. La malice le dispute pourtant à la bienveillance : là où Maître Martha Goebel entend épiloguer sur « ce bordeaux clair (qui) est une innovation et (dont le) foisonnement aux audiences solennelles fera rêver aux soleils couchants et nostalgiques », une voix plutôt sentencieuse, celle du conseiller d’Etat de France, Henri Puget, décrète que « la robe a paru nécessaire, pour faire grandir le respect envers le haut tribunal, de trop fraîche date ».
Au décor somptueux, répond une assistance aussi nombreuse qu’éclectique. Tout ce qui compte dans le Royaume, et même au-delà de lui, a répondu présent : parlementaires, ministres, magistrats, hauts fonctionnaires et militaires, académiciens et professeurs d’université, ambassadeurs… Même le haut clergé a fait le déplacement. L’assistance est encore rehaussée de la présence des vice-présidents du Conseil d’Etat de France et du Conseil d’Etat des Pays-Bas, ainsi que du grand maréchal de la Cour du Grand-Duché.
L’on devine aussi la présence discrète de Georgette Ciselet qui, en sa qualité de sénatrice et près de deux ans auparavant, avait effectivement voté en faveur de la loi portant création du Conseil d’Etat. En 1963, elle deviendra la première conseillère d’Etat et la deuxième magistrate de l’Institution en y rejoignant Marie-Thérèse Bourquin, nommée membre de l’auditorat dès le 26 octobre 1948.
En ce mémorable après-midi du 9 du même mois, il y a toutefois deux absents de marque.
Le chef de l’Etat, tout d’abord, mais il se rattrapera en soirée. Il est aussi vrai que le Prince Régent est dignement représenté par ses plus proches collaborateurs dont son chef de cabinet, le baron Georges Holvoet et son secrétaire, André de Staercke. Qui sait alors que, sous le Premier Empire, l’arrière-grand-père du premier nommé, Benoit-Joseph Holvoet, fut maître des requêtes en service extraordinaire près le Conseil d’Etat napoléonien et même préfet du département de la Loire ?! Quant à André de Staercke, qualifié non sans retenue de « vice-régent » par Vincent Dujardin, qui sait encore qu’il fut l’auteur d’une thèse remarquée, soutenue à Paris juste avant la Seconde Guerre mondiale et précisément consacrée à la création d’un Conseil d’Etat en Belgique ?!
Le Premier président Henri Velge, « père nourricier du Conseil d’Etat », selon la jolie formule de Jean-Pierre Paulus, a été quant à lui contraint de renoncer à sa participation, déjà frappé qu’il était par un mal qui l’emportera moins de trois années plus tard. Son maître et complice des premiers jours a toutefois tenu à être là : le comte Henry Carton de Wiart, secondé par Henri Velge, n’a-t-il pas été, dès avant la Grande Guerre et alors qu’il était ministre de la Justice, le premier à préconiser la création d’une cour de contentieux administratif, non sans instituer sans plus attendre un conseil de législation ?! Tous deux porteront leur projet de cour administrative, avec persévérance et détermination, des décennies durant.
Ne quittons pas la grande salle du Palais des Académies, ce cadre prestigieux au cœur duquel le ministre de l’Intérieur, Pierre Vermeylen, préside à l’installation solennelle du Conseil d’Etat, désormais appelé à prendre place après la Cour de cassation dans la hiérarchie des corps de l’Etat. Comme le relèvent La Libre Belgique du 10 octobre et De Gazet van Antwerpen du lendemain, le ministre s’exprime précisément en ces termes : « Monsieur le Président, messieurs les membres du Conseil d’Etat, j’ai l’honneur de vous prier de procéder à votre installation ».
Il y aura trois discours de bien belle facture… pour deux intervenants seulement ! Au ministre de l’Intérieur Pierre Vermeylen, succède le Président Jean Suetens, d’abord en qualité de porte-parole du Premier président Henri Velge, puis en son nom propre.
Le Journal des Tribunaux reproduit intégralement les trois interventions. A la même époque, il publie aussi deux contributions de Cyr Cambier, l’une, consacrée à la compétence de la section alors dite d’administration, l’autre, à la procédure devant celle-ci. L’éminent professeur aura ces mots : « jamais le sort de tant de causes n'aura dépendu de si peu d'hommes. Et, puisque le législateur nous y convie, croyons, maintenant, aux miracles ».
Quant à elle, la presse relate fidèlement les lumineux propos des différents intervenants. Comme elle les a trouvés fort longs et que le temps nous est compté, je vous en fais naturellement grâce. Attardons-nous quand même, l’espace d’un petit instant, sur celui de Pierre Vermeylen. Le ministre de l’Intérieur est en verve. D’entrée de jeu, il met en exergue ce petit bout de phrase, désormais célèbre dans le sérail et prononcé par son prédécesseur, André Buisseret, au soir du vote par le Sénat de la loi portant création du Conseil d’Etat : « je ne sais pas si l’opinion s’en rend compte, nous venons de voter un quart de Constitution ». L’enthousiasme, voire l’émotion, du ministre se comprend : la première proposition de loi portant création d’un Conseil d’Etat ne date-t-elle pas du 30 mai… 1832 ?! Elle était l’œuvre du sénateur Henri Degorge-Legrand, lequel aura connu meilleure fortune en fondant la cité ouvrière du Grand-Hornu ! La route qui mènera au Conseil d’Etat sera donc longue, sinueuse, parsemée d’embûches, mais palpitante malgré tout. Tout au long du 19ème siècle, c’est plutôt la législation qui sera au centre des préoccupations. Le contentieux prendra progressivement le relais dès le début de la Belle-Epoque, hasard de l’Histoire. De tout temps, et ceci est remarquable, ce sont les sénateurs qui, du Conseil d’Etat, seront les plus ardents défenseurs !
Envisagés à présent d’un seul coup d’œil, les trois discours offrent aussi un dénominateur commun : c’est en effet dans un même élan et tous en chœur, que le ministre, le premier président et le président rendent hommage au Roi Albert qui, quelques semaines avant sa disparition tragique, déplorait l’absence d’une cour de contentieux administratif en Belgique : « c’est une lacune de nos institutions nationales » s’était-il exclamé. Nul n’ignore plus cette « royale sortie ». Mais dans la foulée, les auteurs de ces trois discours auraient pu également évoquer cette intervention du Roi Léopold III, effectuée devant le conseil des ministres le 2 février 1939 : « Je compte aussi sur vous pour obtenir du Sénat le vote prochain du projet de loi créant le Conseil d’Etat, déjà adopté par la Chambre ». Et de leur rappeler « les sages recommandations » de son défunt Père en faveur d’une « juridiction du contentieux administratif ».. Le silence pourtant se comprend : à l’heure où l’effervescente « Question royale » bat son plein, cette référence n’aurait assurément pas été au goût de tous...
La presse se retire une fois la cérémonie officielle achevée. Les invités en font de même, saluant les nouveaux magistrats à distance tout en quittant la salle. Le ton se veut désormais plus badin car les festivités ne font que commencer. A 17 heures, un cocktail est offert par le ministre de l’Intérieur en son hôtel. Puis, à la nuit tombée, son Altesse royale le Prince Régent reçoit. Tout est agencé comme du papier à musique. Tel est effectivement l’usage en ces hauts lieux.
Le dîner offert à l’occasion de la séance solennelle d’installation du Conseil d’Etat prend place au Palais dès 20 heures, dans la salle de Marbre, sous la présidence du Prince Charles, lui-même flanqué des ambassadeurs des Pays-Bas et de la France. Aux côtés de ces derniers, sont installés Paul-Henri Spaak, Premier ministre, ainsi que Paul Struye, ministre de la Justice. Figurent également parmi les hôtes du chef de l’Etat, les vice-présidents du Conseil d’Etat de France et du Conseil d’Etat des Pays-Bas. Le Président Jean Suetens et l’Auditeur général Elie Joachim sont les seuls membres de notre Conseil d’Etat à avoir été conviés au banquet. L’on sait bien sûr pourquoi Henri Velge n’a pas pu être du nombre. Parmi la quarantaine d’invités, l’on aperçoit encore Walter Ganshof van der Meersch, candidat un temps pressenti, mais malheureux, à la présidence du Conseil d’Etat.
Au menu, « Crème de volaille, Dame blanche - Darne de saumon poché, Mousse d’or, Pommes à l’anglaise - Perdreau rôti, Reinettes au beurre - Fonds d’articheau, Châtelaine - Parfait ». Malheureusement, la liste des vins n’est pas parvenue jusqu’à nous.
A 21 heures 30’ précises, le dîner cède le pas à une réception pour laquelle, cette fois, tous les membres du Conseil d’Etat, conseillers, assesseurs, auditeurs, greffier et responsable du bureau de coordination confondus, ont obtenu le précieux carton d’invitation.
L’histoire ne nous apprend rien sur la fin de ces réjouissances. Ne soufflant d’ailleurs mot de cette journée historique, Het Laatste Nieuws des 10 et 11 octobre emmène plutôt ses lecteurs à la découverte de ce palais construit en 1858 par le marquis d’Assche et qui abritera désormais le Conseil d’Etat. A l’entame du 20ème siècle, il avait été occupé par la famille de celui qui deviendra le Roi-Chevalier. Au détour des pièces d’apparat, les visiteurs peuvent s’émerveiller devant un majestueux lustre en cristal qui domine la salle de bal, devenue celle des assemblées générales. Le lustre est toujours là aujourd’hui, campant fièrement face à un petit balcon perché et protégé par une balustrade aux reflets d’or. Ce dernier était à l’origine réservé à l’orchestre qui y accédait par une trappe.
C’était le 9 octobre 1948. Le jour d’après, le « grand bal » était ouvert. Il se poursuit toujours et il se poursuivra longtemps encore : c’est là l’hommage le plus approprié que le Conseil d’Etat de Belgique rend et qu’il continuera à rendre au Président Jean Suetens qui, voici 75 ans, avait exprimé ce souhait : « la plus belle récompense à laquelle nous puissions prétendre, c’est qu’un jour, notre corps acquiert la réputation des Conseils d’Etat de Paris, de La Haye et du Luxembourg ». Monsieur le Premier président Suetens, cet objectif est atteint, et depuis belle lurette. Vous y avez d’ailleurs largement contribué de votre vivant, avec l’Auditeur général Elie Joachim, tous les membres du Conseil d’Etat ainsi que son personnel administratif, d’hier et d’aujourd’hui.
L’aventure continue !"
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